Génocide: la France a "failli" au Rwanda selon un rapport remis à Macron

GLOBE ÉCHOS | 26/03/21 23:13

Un président français et son cercle proche soutenant "aveuglément" un régime raciste et violent, en dépit de toutes les alertes: la "faillite" de la France et ses "responsabilités accablantes" dans le génocide des Tutsi du Rwanda de 1994 sont exposés dans un rapport cinglant remis vendredi à Emmanuel Macron.

Ce rapport d'historiens, fruit de deux années d'analyse des archives relatives à la politique française au Rwanda entre 1990 et 1994, dresse un bilan sans concession de l'implication militaire et politique de Paris, tout en écartant la "complicité" de génocide longtemps dénoncée par Kigali.

Il pourrait marquer un tournant dans la relation entre les deux pays, empoisonnée depuis plus de 25 ans par les violentes controverses sur le rôle de la France au Rwanda.

Présente au Rwanda depuis que ce pays des Grands Lacs a pris son indépendance de la Belgique, la France "est demeurée aveugle face à la préparation" du génocide des Tutsi du Rwanda de 1994 et porte des "responsabilités lourdes et accablantes" dans la tragédie, assène dans ses conclusions la commission de 14 historiens présidée par Vincent Duclert, mise en place en 2019 par le président Emmanuel Macron.

Dans ce rapport de plus de 1.000 pages, les historiens reviennent sur l'engagement français durant ces quatre années décisives, au cours desquelles s'est mise en place la dérive génocidaire du régime hutu, pour aboutir à la tragédie de 1994: quelque 800.000 personnes, majoritairement tutsi, exterminées dans des conditions abominables entre avril et juillet.

Télégrammes diplomatiques, notes confidentielles et lettres à l'appui, le rapport dessine une politique africaine décidée au sommet par le président socialiste de l'époque, François Mitterrand, et son cercle proche, un entourage motivé par des "constructions idéologiques" ou la volonté de ne pas déplaire au chef de l'Etat.

Il raconte des décideurs "enfermés" dans une grille de lecture "ethniciste" post-coloniale et décidés à apporter, contre vents et marée, un soutien quasi "inconditionnel" au régime "raciste, corrompu et violent" du président rwandais Juvénal Habyarimana, face à une rébellion tutsi considérée comme téléguidée depuis l'Ouganda anglophone.

-"Alignement" -

"Cet alignement sur le pouvoir rwandais procède d'une volonté du chef de l'Etat et de la présidence de la République", écrivent les quatorze historiens de la Commission, en insistant sur "la relation forte, personnelle et directe" qu'entretenait François Mitterrand avec le président hutu Juvénal Habyarimana.

Cette relation, doublée d'une obsession de faire du Rwanda un territoire de défense de la francophonie face aux rebelles tutsi réfugiés en Ouganda a justifié "la livraison en quantités considérables d'armes et de munitions au régime d'Habyarimana, tout comme l'implication très grande des militaires français dans la formation des Forces armées rwandaises" gouvernementales.

Dès octobre 1990, date d'une offensive du FPR (Front patriotique rwandais, ex-rébellion tutsi dirigée par Paul Kagame, devenu président du Rwanda), Paris prend fait et cause pour le régime Habyarimana. Elle s'engage militairement avec l'opération militaire Noroît, censée protéger les expatriés étrangers, mais qui de facto constitue une présence "dissuasive" pour protéger un régime vacillant contre l'offensive rebelle.

Tout en pressant Habyarimana à démocratiser son régime et négocier avec ses opposants -ce qui aboutira aux accords de paix d'Arusha en août 1993-, la France ignore les alertes, pourtant nombreuses, venues de Kigali ou Paris, mettant en garde contre la dérive extrémiste du régime et les risques de "génocide" des Tutsi.

- Cercle présidentiel -

Qu'elles viennent de l'attaché militaire français à Kigali, des ONG, de certains diplomates, ou des services de renseignement, ces mises en garde sont ignorées ou écartées par le président et son cercle.

"On peut se demander si, finalement, les décideurs français voulaient vraiment entendre une analyse qui venait contredire la politique mise en œuvre au Rwanda", écrivent les chercheurs.

 

GÉ, avec l'Afp

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