L’affaire George Floyd : quel écho au Mexique ?

GLOBE ÉCHOS | 13/06/20 18:01

Durant les mois de mai et juin 2020, « l’affaire Floyd » provoque une série de manifestations de grande ampleur aux États-Unis et en Europe. A-t-elle un impact au Mexique ?

Revenons d’abord sur les faits. George Floyd est un citoyen noir nord-américain interpellé dans la ville de Minneapolis, dans l’État du Minnesota aux États Unis. Les faits se passent le 25 mai 2020 et impliquent quatre agents de police : Derek Chauvin, Tou Thao, Thomas Lane et Alexander Kueng. Lors de l’interpellation par les policiers, George Floyd est retenu au sol par Derek Chauvin et meurt asphyxié. Rapidement, une vague de manifestations éclate aux États Unis en prenant le slogan « I Can’t Breathe » ou « Je ne peux pas respirer ». Avant que les conclusions de l’enquête judiciaire soient fournies, les manifestants dénoncent l’action de ces policiers et étendent leur contestation en remettant en cause le racisme présent aux États Unis. Ces dernières semaines, la contestation s’est diffusée en Europe où les manifestants reprennent les codes de leurs homologues américains.

Au Mexique, la mort de ce citoyen noir américain a suscité des réactions dans la capitale du pays et parmi la population qui suit l’actualité américaine ou internationale. La grande majorité de la population mexicaine est en effet restée à l’écart de la contestation internationale. Cela s’explique par la situation profondément différente entre les États Unis et l’Europe Occidentale, d’une part et le Mexique. Socialement et économiquement, ce pays appartient à l’ancien Tiers Monde (Bandung, 1955) qui réunissait les pays économiquement sous-développés face aux économies des pays riches. Désormais pays émergent, sa société demeure éloignée des réalités sociales occidentales. La population des quartiers riches de Mexico (Polanco, Las Lomas, Roma, Santa Fe) est assez proche des sociétés développées et peut être réceptive au message des contestations actuelles. Mais dans l’ensemble du pays, des quartiers populaires de Mexico aux villages isolés des États du Michoacan ou du Durango, l’affaire Floyd suscite peu de réactions. Premièrement, il s’agit d’une nouvelle venue d’un pays étranger, certes frontalier. Ensuite, l’écho du racisme envers la communauté noire a peu d’échos ici étant donné la réalité sociale et ethnique différente du Mexique. Enfin, la vie quotidienne caractérisée par les difficultés sociales définit la situation de nombreux Mexicains : vendeurs à la sauvette, familles précarisées, paysans endettés ou travailleurs urbains précaires. La préoccupation des rentrées d’argent quotidiennes ou les soucis familiaux monopolisent l’attention de la majorité des Mexicains. D’une certaine façon, les manifestations relatives à l’affaire Floyd ont le même schéma de diffusion que le mouvement de 1968. Ainsi, les pays occidentaux et les métropoles des autres pays (Mexico, Buenos Aires, Rio de Janeiro) sont les principales zones touchées par les contestations liées à l’affaire nord-américaine.

Parallèlement au cas du racisme contre les Noirs aux États-Unis, la situation des Mexicains et des Latino-Américains émigrés aux États Unis mérite qu’on s’y attarde également. L’émigration de travailleurs du Mexique et d’Amérique Centrale dans les États du Sud Ouest (Californie, Texas, Arizona, Nouveau Mexique) et du Nord (New York, Illinois) s’est accrue depuis les années 1990. Leur présence dans ces régions contribue à d’importants changements sociaux, économiques et ethniques localement. L’influence de l’espagnol est croissante et se manifeste par la variété des accents hispaniques (mexicain, cubain, porto-ricain, salvadorien, colombien, vénézuélien, guatémaltèque) dans ces États. La proportion des populations d’origine latino-américaine est également croissante dans les statistiques fédérales ce qui témoigne d’un changement démographique conséquent. Si la première génération immigrée se caractérise par des emplois précaires ou de faible niveau, leurs enfants ont pu réaliser des études universitaires et accéder à des emplois plus qualifiés que ceux que leurs parents. Cette population d’origine mexicaine ou latino-américaine contribue également à renforcer les liens avec le Mexique ou les autres pays de la région. L’envoi d’argent aux familles restées au Mexique sous la forme de « remesas » ou le maintien de relations binationales permet l’établissement de relations transfrontalières majeures. Malgré ce premier constat positif, il faut néanmoins rappeler l’existence de comportements racistes ou hostiles à l’égard des citoyens américains d’origine latino-américaine. Si la rhétorique de Donald Trump radicale illustre davantage un discours démagogique ou politique, il est certain qu’il peut exister des actes hostiles à l’endroit des Mexicains ou Latino américains établis dans ces régions. Les États-Unis étant une nation multiethnique reposant sur la coexistence de communautés ethniques et culturelles diverses, le racisme des uns envers les autres est un élément présent dans ce pays, à des degrés plus ou moins importants.

Au Mexique, le racisme est généralement issu des schémas mentaux de l’époque coloniale (1530-1820). Selon les concepts coloniaux, le blanc espagnol -peninsular- ou autre occupe le sommet de la pyramide coloniale. Les métis d’Européens et d’Indiens suivent ensuite et se placent en intermédiaires entre les dominants et les dominés. Les indigènes dans toute leur diversité ethnique occupent la troisième place et sont relégués à des activités manuelles. Suivent ensuite les personnes métissées indigènes – noires. Les populations noires occupent les rangs les plus bas de la pyramide coloniale. Cependant, dans le cas mexicain, les populations noires, issues de la traite négrière sont peu nombreuses à la différence de l’espace caribéen ou du Brésil. Ainsi, à l’heure actuelle, ces schémas mentaux influencent les relations au sein de la société mexicaine. Une personne d’origine occidentale sera mieux vue, généralement, qu’une personne d’origine métissée, noire ou indigène. Si le racisme d’une communauté à l’autre est présent au Mexique, il s’agit d’une situation distincte des cas américain ou brésilien. Dans ce pays, la population métissée d’Européens -espagnol- et d’indigènes issue de la colonisation représente la grande majorité de la société mexicaine. Comme nous l’avons dit plus haut, la population noire demeure bien moindre qu’aux États-Unis. Une proportion de la population, d’origine asiatique (Chinois, Japonais, Coréen) ou européenne (Français de Barcelonnette, Allemands, Italiens) existe également mais demeure réduite. Il faut également revenir sur la réalité idéologique et sociale du pays. En tant que pays émergeant, les difficultés sociales des uns et des autres préoccupent la majorité de la population. Dans le cadre des schémas mentaux, l’univers contestataire qui renait avec l’affaire Floyd correspond à la mutation idéologique de l’esprit de « 68 » aux États-Unis et en Europe Occidentale. La majorité du Mexique reste pour l’heure à l’écart de ces univers politiques contestataires qui ont fleuri ces 50 dernières années. En dehors des cercle intellectuels (UNAM) ou de milieux privilégiés, le Mexique reste en dehors de l’univers contestataire qui s’est redéployé depuis l’affaire Floyd.

Thomas Péan, correspondant Globe Échos en Amérique latine

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