La France et les pays latino-américains (1960 1985)

GLOBE ÉCHOS | 07/06/20 23:08

Les relations entre la France et les pays d’Amérique Latine sont plus complexes qu’il n’y parait à première vue. La fondation de la Maison de l’Amérique Latine en 1945 à Paris, constitue les nouveaux jalons de la relation entre la France et ses partenaires latino-américains après 1945. Entre 1960 et 1985, de De Gaulle à Mitterrand, les relations bilatérales entre les deux parties demeurent ambigües et fluctuent en fonction des évolutions latino-américaines comme françaises. État des lieux.

Sous De Gaulle (1958-1969), les relations avec l’Amérique Latine correspondent à la volonté gaullienne de rallier des pays tiers à un front commun indépendant des États-Unis. Ainsi, durant l’année 1964, le Président de la République Française visite successivement le Mexique, le Venezuela, la Colombie, l’Équateur, le Pérou, la Bolivie, le Chili, l’Argentine, le Paraguay, l’Uruguay et le Brésil. L’initiative prise par le Président lui-même demeure une tournée diplomatique de grande ampleur dans cette zone. Au Mexique, il énonce un discours fraternel et patriote à la foule présente dans le centre historique de Mexico. Au Chili, il s’entretient avec le Président Eduardo Frei Montalva (1964-1970) qui partage la même ligne politique. La relation avec les deux hommes est franche et amicale. Au Brésil, il échange avec le Président de la Junte militaire Humberto de Alencar Castelo Branco et lui adresse son respect en tant que nouveau dirigeant du pays, en dépit de la situation particulière. En dépit des ambitions initiales du Général De Gaulle, cette entreprise diplomatique ne se traduit pas par une relation bilatérale politique, militaire, économique ou diplomatique renforcée. Elle contribue plutôt à alimenter ce lien abstrait qui unit la France aux nations latino-américaines. A l’instar des communautés françaises établies dans la région (Mexique, Chili, Brésil, Argentine), des contrats commerciaux, des apports techniques ou de partenariats ponctuels, la relation entre les deux parties est à la fois conséquente et ancienne mais également particulière.

La fin de la période gaullienne inaugure une pause dans les relations avec l’Amérique Latine. George Pompidou (1969-1974) puis Valéry Giscard D’Estaing (1974-1979) ne sont guère intéressés par une politique de rapprochement avec l’Amérique Latine et privilégient les rapports avec les partenaires traditionnels en Europe notamment. De même, les années 1970 inaugurent la montée des tensions politiques et sociales dans les pays latino-américains. Les « années de plomb » voient ainsi la montée des activités révolutionnaires et la réaction des secteurs conservateurs des sociétés latino-américaines. Dans le cas des pays du Cône Sud, la tension politique et la dégradation de la situation nationale conduisent à une mobilisation des secteurs conservateurs. Le Brésil (1964), le Chili (1973), l’Uruguay (1973) et l’Argentine (1976) connaissent ainsi les uns après les autres des coups d’État qui mettent au pouvoir des militaires. Dans ce jeu binaire, la France et les Français ne restent cependant pas à l’écart. Plusieurs anciens militaires français par la Guerre d’Algérie se rendent en Argentine dans les années 1970 afin de former le corps militaire argentin à la contre-insurrection. Exposés durant les guerres coloniale à la guérilla révolutionnaire, les militaires françaises se familiarisent ainsi avec les nouvelles méthodes de guerre et mettent en place des méthodes militaires et stratégiques pour répondre à ces défis. Arrivés en Argentine, ils transmettent aux forces armées argentines, leur maitrise de la contre insurrection. Parmi ces militaires françaises, Paul Aussaresses est un militaire vétéran des guerres coloniales françaises. Les actions de ces conseillers militaires sont connues par l’Ambassade de France en Argentine et par le Président Valéry Giscard D’Estaing lui-même. Mais, d’autres Français s’engagent du côté des révolutionnaires latino-américains. Régis Debray, arrivé en Amérique Latine au milieu des années 1960 poursuit son « itinéraire révolutionnaire » dans le Chili de Salvador Allende. En lien avec les réseaux révolutionnaires locaux, il permet au candidat socialiste François Mitterrand d’entrer en contact avec la gauche latino-américaine. Ainsi, il rencontre dans les années 1970 Fidel Castro à Cuba même lors d’une visite officielle. On assiste alors à la création d’un réseau franco-latino-américain de révolutionnaires et d’intellectuels de gauche. Le coup d’État au Chili provoque la mobilisation de la gauche française en solidarité avec les Chiliens tués ou partis en exil. Yves Montand et Simone Signoret affichent ainsi leur solidarité avec la cause socialiste chilienne à travers leurs productions artistiques : tournée musicale et films d’auteur. Le réalisateur franco-grec Costa Gavras dirige le tournage de plusieurs films évoquant l’aventure révolutionnaire et son échec en Argentine et au Chili. Paris devient un des centres de la communauté chilienne en exil. A cette époque, la Maison de l’Amérique Latine joue son rôle de centre d’accueil et de diffusion des Latino-Américains à Paris. Véritable pont entre la France et les nations d’Amérique Latine, elle contribue à partager et renforcer une communion mentale et idéologique entre les intellectuels des deux parties.

Les années 1980 voient l’avènement d’une nouvelle époque pour la France comme pour les pays latino-américains. Dans les dictatures du Cône Sud, la nouvelle décennie se caractérise par les transitions à la démocratie qui conduisent progressivement au changement de régime. Entre 1983 et 1989, l’Argentine, le Brésil, l’Uruguay et le Chili sont marqués par des processus politiques et électoraux qui permettent l’arrivée au pouvoir de nouveaux dirigeants. En France, la victoire de François Mitterrand en mai 1981 est l’espoir de la gauche française et latino-américaine. En réalité, la décennie 1980 annonce à la fois la fin des dictatures militaires et celle de la ligne révolutionnaire. Dès 1983, le Président français est confronté à la réalité du pouvoir et entame la mutation discrète mais réalité du Socialisme français au néolibéralisme et à l’économie de marché. Les années 1980 voient également l’éclatement de conflits armés violents au Pérou, en Colombie et en Amérique Centrale. Les guérillas révolutionnaires recourent à la lutte armée contre le gouvernement pour le faire tomber. Le Sentier Lumineux (Pérou), les FARC, l’ELN, l’EPL (Colombie), le FMLN (Salvador) et les guérillas guatémaltèques contribuent à la dégradation de la situation nationale dans un état de guerre civile. L’idéal de la gauche est donc confronté à l’écueil de la violence révolutionnaire. Au Nicaragua, les Sandinistes parviennent à prendre le pouvoir et établir un régime révolutionnaire. Pourtant, les régimes révolutionnaires cubain et nicaraguayen sont confrontés durant les années 1980 à de nombreuses difficultés : trafic de drogue, crise économique, oppositions armées, interventions étrangères. Le gouvernement Mitterrand signe alors un contrat d’armement avec le Nicaragua sandiniste en mars 1982. En réalité, il s’agit davantage d’une tractation diplomatique afin d’éviter le rapprochement du pays latino-américain avec le Bloc de l’Est communiste. Certains membres de la gauche révolutionnaire française notamment trotskyste se rendent au Nicaragua afin de suivre des entrainements au combat. Cette décennie sonne le glas de l’affrontement entre les révolutionnaires et leurs adversaires. En France comme en Amérique Latine, le camp de la Révolution entame ainsi son progressif déclin. Confrontés à l’échec de leur programme politique (Cuba, Nicaragua) ou à l’écueil de la violence révolutionnaire (Andes, Amérique Centrale), les partisans de la révolution doivent abandonner leur lutte politique.

Au cours des années suivantes, les itinéraires des uns et des autres au sein de l’ancien camp de la révolution illustrent les évolutions postérieures. En France comme dans les pays latino-américains, la diffusion des thèses du néo libéralisme contraint les uns et les autres à accepter ou à se convertir à l’économie libérale. Au Mexique, au Chili, au Brésil et au Pérou, le néo libéralisme est adopté par les économies nationales afin de réguler les nouveaux défis qu’elles connaissent : inflation, endettement. Des années 1990 aux années 2010, la relation particulière entre la France et l’Amérique Latine stagne. Les activités menées par la Maison de l’Amérique Latine et des autres organisations bilatérales maintiennent les échanges entre les uns et les autres Mais, au-delà des cercles culturels et intellectuels, le rapprochement bilatéral demeure limité.

Thomas Péan, correspondant Globe Échos en Amérique latine

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