Migrants, policiers, passeurs, défilé nocturne sur les bords du Rio Grande

GLOBE ÉCHOS | 30/03/21 19:41

Le soleil à peine couché, les passeurs mexicains gonflent le bateau pneumatique, font monter 15 migrants, crient aux enfants d'arrêter de pleurer, rament à toute vitesse, et arrivent, en quelques minutes, sur le côté américain du Rio Grande. La scène se répète tous les soirs depuis deux mois, parfois durant toute la nuit.

Dimanche soir, dès la première demi-heure d'obscurité, quatre bateaux gonflables, avec environ 50 migrants clandestins originaires du Honduras et du Guatemala, sont ainsi arrivés presque simultanément dans la localité texane de Roma, qui compte 11.000 habitants.

Les agents de la police américaine aux frontières parlent souvent avec les passeurs, voire plaisantent avec eux, d'une rive à l'autre. Ils n'essaient pas de les interpeller tant qu'ils ne posent pas le pied sur le sol américain.

Quand débarquent les migrants - quelques fois par centaines, y compris de nombreux mineurs voyageant seuls - il n'y a parfois aucun agent de la police aux frontières pour les accueillir. Ils les appréhendent un kilomètre plus loin, au bout du sentier sablonneux qui conduit à Roma.

- "Il faut bien que je vive" -

"Dites-leur de ne pas percer notre bateau! Nous transportons des enfants, la rivière est profonde, on leur enlève les gilets, n'y touchez pas!", crie "Chuchi", un passeur de 25 ans, en approchant à la rame la rive américaine, où se trouvent déjà cinq bateaux crevés.

"Tous les jours" il y a beaucoup de travail, indique "Chuchi" à l'AFP, sans quitter son embarcation. "Nous avons aussi des enfants, comme vous", et le travail paie bien, dit-il.

"Il vaut mieux faire ça que tomber dans la délinquance, non?", dit son partenaire, un autre passeur d'une trentaine d'années.

"Il faut bien que je vive", dit ce dernier, quand on lui rappelle que ce genre de travail est considéré comme du trafic d'être humains, un délit. "Moi aussi j'ai des enfants. Six enfants qui sont citoyens (américains)", dit-il.

Il ne veut pas donner son nom, de peur d'être arrêté. Un gilet de sauvetage est resté coincé dans les roseaux à un mètre du rivage américain, il hésite à descendre du bateau pour le récupérer.

"Je descends le chercher, mais où est la 'migra'?", demande-t-il, inquiet, en utilisant le surnom en espagnol donné aux agents à la frontière.

Les passeurs travaillent généralement en lien avec les cartels de drogue. A Miguel Aleman, localité mexicaine située juste en face de Roma, les cartels du Golfe et du Nord-Est sont actifs, indique à l'AFP Ivan Garza Junior, chef de la police de Roma. Les deux cartels s'affrontent régulièrement, et on entend le crépitement des armes automatiques depuis la rive américaine.

Le passeur interrogé par l'AFP dit simplement travailler "pour quelqu'un", sans vouloir dire pour qui.

Près de 100.000 migrants clandestins, originaires surtout du Honduras, du Guatemala et du Salvador ont été appréhendés par la police aux frontières en février, le long des quelque 3.200km de frontière entre les Etats-Unis et le Mexique. Soit un retour au niveau de mi-2019, lorsque de grandes "caravanes" de migrants faisaient la une de l'actualité américaine.

La plupart d'entre eux sont reconduits à la frontière, affirme le gouvernement de Joe Biden. Mais contrairement à ce qui se passait sous la présidence de Donald Trump, les mineurs voyageant seuls et de nombreuses familles ne sont pas expulsés.

Samedi au crépuscule, un agent de la police aux frontières a crié à un passeur de ne pas traverser à un certain endroit, sous peine d'être arrêté par les policiers de l'Etat du Texas.

Le passeur, les bras en l'air, lui a demandé: "Où veux-tu que je les amène?" L'agent de la police aux frontières lui a montré où débarquer.

"Je ne suis pas très inquiet. Tu veux fumer un joint?" lui a répondu le passeur en allumant une cigarette.

"Quand je prendrai ma retraite!", a rétorqué en riant l'agent américain.

- Deuxième tentative -

Dani fait partie des migrants récemment débarqués: ce Hondurien de 42 ans voyage avec sa fille de six ans, Daniela. Il a déjà fait la traversée il y a deux semaines, par le même chemin, mais a été expulsé quatre jours plus tard.

Il réessaie, avec l'aide financière de sa soeur, qui habite à La Nouvelle Orléans.

"Mon salaire hondurien ne suffit pas à faire vivre ma famille", dit-il sur le chemin qui mène du fleuve au point de contrôle de la police aux frontières.

Aucun des migrants interrogés ne veut dire combien ils ont payé les passeurs.

Parmi les autres récentes arrivées, deux soeurs guatémaltèques de 7 et 13 ans, qui ont voyagé seules pendant 15 jours et espèrent retrouver leur père, établi en Virginie.

"Notre mère est malade et ne peut pas s'occuper de nous. Elle est hospitalisée", dit l'ainée, Heidi. "Je suis heureuse de revoir mon père. Je ne me souviens pas de lui, il a quitté le Guatemala juste après ma naissance".

Un agent de la police aux frontières demande à la cadette de 7 ans d'enlever la chaine qu'elle porte autour du cou. La fillette n'y arrive pas, alors l'agent sort un grand couteau et coupe la chaîne.

"Ce boulot craint", lâche-t-il.

 

GÉ / AFP

derniers tweets